Il ne suffit pas de s’agiter et de s’ériger contre les malheurs de ce monde, en pensant que cela puisse changer quelque chose. Lorsque nous combattons une idée, un projet, un acte, nous maintenons en réalité son énergie. Nous augmentons le ‘nuage’ de ce que nous souhaitons voir disparaître. Certains publicitaires et stars l’ont bien compris : il vaut mieux parler d’eux, ne fut-ce qu’en mal plutôt que de ne pas en parler car ils continuent ainsi à exister. Mais dans notre quotidien, nous ne sommes pas souvent conscients de cela. Nous voulons bien faire et nous dénonçons ce qui ne va pas. Nous croyons en quelque sorte qu’il y a les autres et qu’il y a nous. Nous croyons qu’il y a le mal d’un côté et le bien de l’autre. Si nous ne voulons pas de quelque chose et que cette chose apparaît quand même dans notre existence proche ou lointaine, interrogeons-nous : qu’est-ce qui maintient cela ? Car « faute de combattants, la guerre s’arrête ». Je sais : cette manière de voir n’est ni commune, ni commode… Elle interpelle souvent les entrailles quand on a le courage de s’y arrêter. Cela demande du temps à être intégré à l’ensemble des injustices que nous rencontrons sans cesse et de répondre à cette question qui monte immédiatement : « oui mais alors, on doit tout accepter et il n’y a rien faire ? ». Si. Cesser ce mouvement d’opposition en soi. Et agir ‘pour’, plutôt que ‘contre’.
Et pourtant, il ne suffit pas non plus de vouloir construire un autre monde et de s’y atteler. Même si cela est grandement nécessaire et que cela contribue.
« Euh… mais alors il est où est le problème ? ».
Nous avons à réaliser que tant que nous croyons que nous sommes étrangers à ce qui se passe, que ce que l’un fait, nous ne le ferions ou ne faisons pas, nous nous séparons et nous nous leurrons. Nous sommes les uns les autres. Nous avons tous une part jugeante, non authentique, lâche, violente, colérique et j’en passe … à l’intérieur de nous. Ce n’est pas très populaire de dire cela et vous êtes probablement prêts à me rétorquer que non. Et pourtant… C’est parce que nous ne la reconnaissons pas comme telle que cela continue à se produire dans le monde.
Ce que nous avons à faire en plus d’arrêter de combattre et de construire ‘pour’, c’est de reconnaître cela en nous et de ‘nettoyer notre auge’. C’est sans doute notre plus grande responsabilité. Reconnaître que rien n’est séparé et que ce qui se passe en dehors est le fruit de nos multiples turpitudes intérieures.
Je vous laisse à lire le texte de Christiane Singer, cette femme tellement inspirante, qui m’a invité à écrire ce que je viens de vous partager…
“ Je voudrais faire partager ce trouble fondamental sans lequel nous restons des ergoteurs et des pédants. Il n’y a pas d’un côté le monde avec ses guerres, ses tortures, ses horreurs, et de l’autre les hommes qui s’en indignent. Il n’y a qu’un monde. Et tout ce qui respire sous le soleil partage un souffle, un seul!
Cette humanité qu’on déverse devant moi comme de l’eau de vaisselle dans l’auge d’un porc est bien la mienne. Je ne puis en rien prétendre être au-dessus d’elle d’un iota. Ce lieu est le mien. Cette misère des cœurs est la mienne. Cette détresse qui traîne et qu’on éructe parfois en envie de meurtre ou de suicide est la mienne. Il n’est rien dont je ne résonne, dont je ne sois aussi ébranlée fut-ce à mon insu.
Sans ce trouble fondamental, nous ne sommes pas en mesure de commencer “nos humanités”, ni d’entrer en vie et en vérité.
En dressant un mur contre la haine du monde, sa laideur, sa tristesse, sa vénalité, sa dépression -comme si tout cela ne nous concernait pas- nous nous ôtons le seul puissant outil de changement: la conscience que ce monde n’est rien d’autre que le précipité chimique de toutes mes pensées, de toutes mes peurs, de toutes mes cruautés.
Mais dès que je cesse de voir le monde en dehors de moi, séparé de moi pour le réintégrer, l’incorporer – je suis revenue dans le monde (et le monde est revenu en moi) -, alors une issue se dessine, et la sensation d’impuissance cesse!
Ce lieu que je suis, où je me tiens est transformable.
À la question: « Que puis-je faire pour le monde? », Suzuki Roshi répondait: « clean up your own corner! ». De ce « coin » nettoyé jaillit la source.
Qui a dégradé un seul homme a dégradé le monde. Qui sauve une âme sera fêté au ciel comme sauveur du monde. Voilà la charnière !
«Celui qui a vu son ombre est plus grand que celui qui a vu les anges” . Celui qui a touché ses abîmes et qui a pourtant choisi la vie met le monde debout.”
Christiane Singer [ N’oublie pas les chevaux écumants du passé ]
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